středa 24. října 2012

ZIMU - barde kabyle de l'époque contemporaine

ZIMU  – barde kabyle de l’époque contemporaine ou

UN ÉPISODE ETHNOMUSICOLOGIQUE









Mots clés : musique et identité kabyle moderne, chanson et paroles, activités musicales et patriotisme, adaptations de chansons    

Introduction 

Basée sur les analyses musicales de chansons d’un musicien kabyle instalé à Paris, sur les informations concernant son personnage et ses activités musicales publiées sur les divers sites web et principalement sur les entretiens semi-structurés, je ne conçois cette enquête que comme un « épisode ethnomusicologique », car je n’ai pas pu pas assister aux concerts ou aux autres types de spectacles musicaux[1], non programmés, pendant mon séjour à Paris. Bien que cette enquête n’est pas fondée sur le travail de terrain au sens de l’observation participante des performances musicales, elle est néanmoins consacrée à certaines questions d’ethnomusicologie contemporaine. Je trouve ces questions pertinentes à éclaircir tout au moins avec les réponses fournies par mes efforts sur le cas étudié. Car je suis persuadée de la nécessité de présenter le procédé méthodologique; je mentionne ainsi toutes les étapes du déroulement de cette enquête englobant aussi mes impressions et mes sentiments subjectifs qui n’accompagnent pas seulement mon enquête, mais chaque recherche antropologique en général.
Dans la création de Murad Zimu[2], originaire de Tizi-Ouzou vivant à Paris, j’essaie de déceler un des courants de la musique kabyle contemporaine que je considère assez particulier et pertinent à décrire. Les buts de cette tentative sont devenus les suivants : illustrer comment le musicien lui même réfléchit sur la musique qu’il crée et comment il la conceptualise. Murad Zimu se présente comme un chanteur et poète qui s’oriente uniquement vers une audience kabyle spécifique. Son appartenance à cette minorité algérienne, violement opprimée, et ses attaches fortes à la langue kabyle déterminent le concept entier de ses oeuvres poético-musicales. En même temps, il trouve son inspiration dans la chanson française et dans la musique moderne occidentale en général. Quels sont donc les traits qualifiant l’identité kabyle et son esprit dans ses créations et quels critères identifient cette identité ? Quelle est sa place parmi les autres créateurs kabyles ? Comment ses attitudes personelles se reflètent dans son style poético-musical ? Et comment un auditeur non-kabyle – comme moi – qui est néanmoins attiré par la Kabylie, par l’Algérie[3] et par ses musiques en particulier, perçoit ses chansons ? Pour ma part, j’ai décidé de considérer Murad Zimu comme un « barde » kabyle de l’époque moderne : c’est un chanteur et poète affirmant son appartenance à l’identité kabyle dans ses activités créatrices, néanmoins, il désire se distinguer de la majorité des musiciens d’aujourd’hui et éviter certaines pratiques présentes dans la contemporanéité musicale kabyle. Dans cet article, j’ébauche aussi des sujets et des questions qui reflètent le développement général de la musique kabyle dans la deuxième moitié du XXème siècle, cependant, l’article se concentre principalement sur le cas de Murad Zimu.    

Pourquoi Zimu ?

Prague 2008


            Il faut avouer que c’est un accident de parcours qui marque le début de cette petite recherche préparée dès l’été 2008 à Prague et réalisée à Paris pendant l’automne 2010. Lorsque on vit en République tchèque, dans ce petit pays de l’Europe centrale sans frontières maritimes et – heureusement – sans passé colonial, l’amateur des musiques du monde arabo-musulman dois se contenter seulement d’une poignée de disques disponibles dans plusieurs bibliothèques ou boutiques spécialisées dans les « musiques ethniques ». Sinon, il est nécessaire de chercher les enregistrements sur les sites web internationaux ou de trouver d’autres solutions – explorer continuellement le répertoire ancien et aussi contemporain sur les ondes de la radio, par exemple.
Passionnée de la musique d’Afrique du Nord, j’écoute souvent les radios maghrébines. Un jour d’été 2008, j’ai passé la soirée avec la Radio Dzaïr en savourant les anciennes chansons de Dahmane el Harrachi, Boudjema El-Ankiss et d’autres chanteuses et chanteurs algériens plus ou moins célèbres. Ensuite, mon attention fut brusquement captivée par une chanson[4] évidemment moderne et assez exceptionelle parmi toutes les chansons - anciennes autant que modernes - chantées en arabe ou dans les langues berbérophones.  Je fus émue par une voix masculine très fine et claire chantant une mélodie triste, accompagnée au piano. L’intelligibilité et la clarté absolue des paroles chantées dans une langue amazigh et l’expressivité sophistiquée et émouvante des énonciations vocales qui furent proférées dans une manière cultivée étaient particulièrement remarquable. Excepté la langue utilisée, aucun autre trait, c’est-à-dire un instrument de musique, un rythme ou un mode mélodique ne me rappelèrent l’origine maghrébine de cette chanson. Quel était ce musicien exceptionel ? Dans de tels moments, il faut apprécier les avantages de la technique moderne – un nom de certain « ZIMU » apparut dans la fenêtre du baladeur Windows Media Player. Ensuite, j’ai trouvé son site web officiel et sa présentation sur le réseau social MySpace. Pour les deux années suivantes, j’écoutais sa musique pour mon plaisir en ne sachant que je le rencontrerai personnellement un jour à Paris.       

Musicien kabyle en France

PARIS 2010


En saisissant l’occasion de passer un semestre à Paris comme étudiante ERASMUS, bien sûr j’étais tentée par l’idée de réaliser une petite enquête sur Murad Zimu. Malheureusement, aucune représentation de Zimu n’était programmée pendant mon séjour à Paris. Néanmoins, juste deux semaines après mon arrivée, j’ai assisté au concert d’un autre musicien kabyle, Cheikh Sidi Bémol, qui caractérise son propre style musical comme « fusion entre modernité et tradition, entre chaabi, gnawi, blues et rock, berbère et celte[5] » et qui chante les paroles de ses chansons en arabe, kabyle, français et anglais. Le concert fut organisé à Paris dans un petit café musical[6] du XIème arrondissement, spécialisé dans les « musiques du monde » qui me rappela fortement le Popocafépetl [7]pragois. Une demi-heure avant le début du spectacle, c’est-à-dire à 20 heures 30,  les places autour de tables pour deux ou quatre personnes, ou les chaises pour des personnes seules près du bar furent occupées par une centaine d’hommes et femmes 20 à 50 ans qui vinrent seuls, en couples ou en groupes, habillés plutôt de vêtements informels. Tous les gens achetèrent les billets s’élévant entre 8 et 10 euros sur place. En étant assise près d’une table pour quatre personnes, j’entendis autour de moi français mais aussi kabyle. Les gens parlèrent en mélangeant les deux langues, on discuta de divers thèmes de la vie quotidienne mais aussi de politique. Ensuite, quelques minutes avant le début du spectacle, une jeune femme passa dans la salle en demandant à ceux d’origine algérienne de signer une pétition contre l’emprisonnement d’un homme algérien. C’était une petite, mais une sérieuse remarque de la contemporanéité inquiétante de ce pays maghrébin.           
Le concert commença à 21 heures 12. Cheikh Sidi Bémol monta avec un violiniste et un percussionniste sur le petit podium situé au coin du café et il présenta son nouveau disque « Paris –Alger – Bouzeguéne » en parlant en français avec les auditeurs au cours du concert entier, c’est-à-dire au début, mais aussi au cours de ses chansons particulières. Le programme était composé probablement de nouvelles mais aussi d’anciennes compositions évidemment connues par l’audience qui dansa un peu pendant quelques chansons et proféra des youyous ou des exclamations verbales joyeuses en kabyle. Après 22 heures, il y eut une pause de vingtaine de minutes. J’ai entamé une conversation avec mes voisins assis autour de la table en me présentant  et montrant mon intérêt par la musique kabyle, et en particulier, par Murad Zimu. Par hasard, un des auditeurs m’informa qu’il connaissait ce musicien personnellement. Grâce à son intervention, j’ai rencontré Murad Zimu après plusieurs semaines. Munie de toutes les informations préliminaires sur lui, sa musique et ses activités, j’ai réalisé des entretiens qui représentent la source de données la plus importante de cette petite recherche.   
***
Murad Zimu est né le 2 janvier 1970 à Achallam, un village kabyle dans la wilaya de Tizi-Ouzou. Il doit ses premiers pas musicaux à son frère Mohwelhadj qui lui rapporta une guitare en revenant de Marseille. En suivant ses études de sociologie à l’université d’Alger et dans le département de langue et culture amazighes de l’université Mouloud Mammeri Tizi-Ouzou, Murad Zimu crée ses premières chansons pendant les années quatre-vingt-dix et rencontre ses amis et collaborateurs, le musicien Si Moh et l’écrivain Ameziane Kezzar, parmi d’autres. Il donne ses premiers concerts, il participe avec sa guitare aux spectacles musicaux en Kabylie, il travaille dans une association qui organise les concerts, et il dirige une programmation de la radio. À l’exception de sa première collection privée de chansons « Ijeğğigen n tsusmi » (Les fleurs du silence), Murad Zimu réalise déjà trois albums qui sortent chez différents éditeurs à Alger et à Tizi-Ouzou. Marié à une femme kabyle et père d’un enfant, il vit en France où il est installé dès le début des années 2000 en travaillant comme réceptionniste dans un hôtel au centre de Paris.    
           
Murad Zimu est l’auteur des mélodies de ses chansons, de leur conception musicale et d’une grande majorité de paroles qu’il compose avec l’utilisation de procédés différents. Il crée les textes séparément en écrivant ses idées poétiques, mais de temps en temps les thèmes et motifs musicaux viennent simultanément avec les paroles. Avec l’aide d’appareils d’enregistrement audio, il enregistre des airs complètement nouveaux ou ceux qui sont déjà associés avec des paroles. Dans son ordinateur, il y a des dizaines d’ébauches poético-musicales qu’il compose à la maison en chantant et en s’accompagnant avec sa guitare. Ensuite, les versions finales, c’est-à-dire les arrangements harmonisés et poly-instrumentaux sont créés en collaboration avec les autres musiciens en studio sous la direction de l’arrangeur Samir Sebbane[8] ou pendant les répétitions avec le guitariste kabyle algérien Mennad, le percussionniste kabylo-marocain Mounim et l’accordéoniste français Olivier, trois musiciens professionnels installés à Toulouse, coopérant avec Zimu. La collaboration de Murad Zimu avec ses musiciens est néanmoins fondée sur des principes d’amitié solide et dans un cadre informel. 
Il est possible de constater que la forme musicale de chansons particulières de Zimu est assez flexible, c’est-à-dire qu’il existe plusieurs versions d’arrangements de la même chanson, soit avec un simple accompagnement de guitare, soit avec deux ou plusieurs arrangements instrumentaux différents (« Ameddakkel » déjà mentionné, « Moh n Moh », « Aghennay n uzekka », « Yya-d ma ad teddud » etc.). Au cours du temps, les chansons sont modifiées selon les circonstances du moment, dépendantes de lieu d’exécution ou de la présentation dans un espace d’internet. Du point de vue d’un auditeur occidental non-kabyle, les pièces musicales de Murad Zimu ressemblent aux chansons contemporaines de provenance internationale. À l’exception de « Ssiwan[9] », toutes les autres chansons sont difficiles à identifier comme typiquement kabyles.  Son style se caractérise par l’utilisation de mélodies diatoniques accompagnées par des instruments de musique comme la guitare, la guitare basse, l’accordéon, le piano, les percussions et les autres instruments de musique synthétiques. Harmonisées de la manière occidentale, les chansons sont introduites par des courtes introductions instrumentales qui coïncident avec les interludes dans certaines pièces. Tandis que les thèmes et les phrases mélodiques associées avec un ou deux premiers couplets se répètent, les paroles de chansons représentent les poèmes entiers ayant plusieurs strophes dont le contenu est en général non-répétitif. Évidemment, le chanteur attache de l’importance à son expression vocale qui se déroule dans les mélodies non-ornementées, chantées de manière syllabique par sa voix de ténor naturelle. Pour Zimu, la profération claire des paroles, leur audibilité et intelligibilité sont les plus importantes. Murad Zimu fut néanmoins étonné par mon jugement qualifiant sa musique comme « non-kabyle » à la première écoute :

« Moi, je ne vois pas ma musique « occidentale ». Je sais que je travaille sur des accords occidentaux, mais l’air mélodique, il y a toujours quelque chose de kabyle dans l’air mélodique que j’interprète avec ma voix sur des paroles. »

Pour lui, tous ses créations sont « kabyles » en ce qui concerne les paroles mais aussi la musique. Quelle est la raison de cette réalité ?

 Sauf l’utilisation des aérophones (flûte tajewwaqt, hautbois lγida et clarinette double tizemmarin) et des membranophones (tambours ttbel et abendayer), le répértoire de la musique villageoise kabyle est constitué de corpus des chants exécutés dans la majorité des cas a capella, (Mahfoufi 2002 : 18-22). La musique est traditionellement pratiquée seulement par les amateurs car un statut du musicien professionel n’existe pas jusqu’à aujourd’hui, la majorité des musiciens restent autodidacte. Les changements radicaux dans la musique kabyle datent du XXème siècle, après la fin de Seconde Guerre mondiale. A l’exception de l’influence de musique arabe maghrébine ou orientale, les inspirations musicales extra-kabyles viennent surtout de la musique française du XXème siècle. En commençant par l’utilisation de la guitare, du banjo, de l’accordéon ou d’autres instruments de musiques étrangères introduites successivement en Kabylie, les musiciens kabyles se famililarisent avec les éléments musicaux qui sont en vogue dans la musique populaire occidentale. Les premiers usages de la polyphonie et de l’harmonisation de chansons accompagnées par des ensembles ou orchestres datent des années 1950. Vingt ans après, le chanteur Idir devient le premier musicien kabyle reconnu aussi sur la scène internationale. L’apparition de sa chanson « A vava inouva » des années 1970 marque la naissance de la nouvelle chanson kabyle, un nouveau genre qui trouve ses sources essentielles dans la poésie traditionelle kabyle en s’inspirant des traits sonores d’origine régionale. Dans le même temps, les musiciens kabyles sont influencés par des éléments arrivant de la musique populaire occidentale. 
En conclusion, la « musique kabyle » contemporaine n’est aujourd’hui qu’une vaste catégorie englobant une variété de styles plus ou moins inspirés par les éléments locaux berbères ou arabes plus ou moins « traditionels » et aussi par différents genres de la musique occidentale. Les chanteurs préfèrent (mais pas exclusivement), en créant les arrangements hétérophoniques avec l’harmonisation occidentale, utiliser des claviers, des guitares électriques et acoustiques, le luth oud, la mandole, le banjo, le violon, différents types de flûte et aussi des instruments synthétiques qui sont accompagnés par les rythmes occidentaux ou les rythmes typiques kabyles 3/4  et 4/4 de ttbel et abendayer.  
Cette hétérogénéité fournit donc la preuve de valeur et d’importance du principe de changement constant dans la musique et dans sa conceptualisation sonore. Aujourd’hui, c’est déjà impossible de caractériser la musique « kabyle » selon les définitions « scolaires » élaborées par les anciens ethnomusicologues et folkloristes. La musique kabyle contemporaine, ce n’est pas seulement le accewiq[12], les chants de mariage des femmes ou les danses collectives accompagnés par les ensembles tambourinaires. Par contre, les Kabyles représentent une communauté transnationale, qui, en sauvegardant son patrimoine culturel et linguistique, est malgré tout imprégnée par diverses influences extérieures. Les musiciens eux-mêmes s’approprient donc des traits musicaux qui sont réinterprétés et integrés dans leurs nouvelles créations. Mais ce fait est juste la raison pour laquelle la musique kabyle d’aujourd’hui devrait être étudiée par des ethnomusicologues.
Pour cette raison, Murad Zimu n’hésite pas sur le caractère « kabyle » de ses chansons. Non-initié à la musique savante régionale arabe, il trouve aussi son inspiration dans le système musical occidental, en principe. Ses choix le distinguent de tous les éléments arabes qui sont associés avec les répressions et avec le programme d’arabisation forcée.  

Chanteur « non-pratiquant » qui ne se vend pas


« Ici en France, il y a moins de concerts, parce qu’il y a moins d’organisateurs qui d’abord s’intéressent à la chanson que je fais, que je pratique...J’avertis le public que ce sera des chansons qui ne font pas danser, qui ne parlent pas des montagnes et des anciens et qui ne glorifient pas la JSK[13]....Notre communauté aime faire la fête, aime danser, adore la chanson-nostalgie...et la chanson que je pratique n’entre pas malheureusement dans ce moule. »

Murad Zimu donne son premier concert en Algérie en 1995 ou 1996 à la radio durant le yennayer, le nouvel an berbère, et participe constamment aux spectacles musicaux qui sont organisés par des associations kabyles pour diverses fêtes régionales (la commémoration du Printemps berbère, la fête des cerises, la fête de la poterie, etc.). Ces spectacles ont un caractère informel, avec entrée libre et ils ont lieu en pleine air ou dans des cinémas ou des théâtres en Kabylie. Cependant, il avoue qu’en France, il se produit moins qu’en Algérie. Selon lui, il y a plusieurs raisons principales: 1)la communauté kabyle est éparpillée en France entière et 2)l’organisation d’un concert en France est beaucoup plus formelle qu’en Algérie, il faut suivre toutes les étapes de la procédure administrative, c’est-à-dire demander l’autorisation, payer des droits au SNAC[14] etc. À cause de l’insuffisance du temps, il n’a jamais organisé un spectacle lui-même et il se produit toujours lors de concerts organisés pour une occasion et avec d’autres participants. La troisième raison concerne plutôt les préférences et valeurs personnelles de Murad Zimu qui l’empêchent de se produire dans la majorité des concerts kabyles en France.   
Ici, les spectacles musicaux kabyles sont aussi organisés pour des circonstances importantes comme le nouvel an ou la commémoration du Printemps berbère. Ces événements, intitulés souvent comme « Gala » et « Kabyle 100% », sont annoncés plus que cinq mois d’avance par des affiches installées dans les lieux publics (dans les couloirs du métro parisien et dans les quartiers ayant une présence kabyle, par exemple) ou présentées sur les sites web kabyles[15]. Excepté la disponibilité directe chez les organisateurs ou près des salles de ces spectacles, les billets d’entrée s’élevant jusqu’à 35 euros sont accessibles à la FNAC, chez Carrefour et dans les réseaux habituels. En restant dans le cadre communautaire, les spectacles ont lieu dans les grands salles parisiennes comme le Zenith, le Cabaret Sauvage ou le Palais des Congrès Paris-Est, souvent le dimanche l’après-midi pour que les familles entières puissent y assister. Beaucoup de musiciens populaires contemporains participent à ces spectacles organisés dans la majorité des cas par Mega Net Production[16]. Par contre, Murad Zimu s’est produit lors de plusieurs festivals de poésie et de chanson kabyle[17]. En 2010, il participe avec ses trois musiciens au festival de culture berbère « Tamazgha » qui a lieu chaque année, la fin de septembre, à Marseille. Fondé en 2006 encore sous le nom « Souk Musiques – Festival des Musiques Nord-Africaines », ce festival présente la musique mais aussi les autres sphères de la culture berbère passée[18] et contemporaine,  avec la participation d’artistes et d’intellectuels[19]. Comme d’habitude, surtout les Kabyles ou leurs proches amis ou alliés français assistent à ce festival mais sa conception est donc totalement différente des spectacles de divertissement. Murad Zimu refuse strictement de se produire dans des spectacles qui, selon lui, manquent d’une certaine dignité :

« Je reçoit beaucoup de.... je suis solicité.... d’invitation pour des fêtes...., mais ce sont toujours des fêtes cocktail, c’est-à-dire qu’on est une quarantaine d’artistes, toujours pour rendre un hommage à quelqu’un, ça m’intéresse pas beaucoup..... C’est pas intéressant, parce qu’il y a beaucoup d’argent derrière, mais de l’argent qui n’est pas destiné aux artistes, mais c’est toujours destiné à... à ces parasites de la culture. Tu trouveras dans une affiche aucun respect, aucune, aucune info graphique respectueuse, il n’y a aucun concept.... C’est pas comme le concept de Tamazgha, où il y a vraiment du film, des expositions, il y a du théâtre...après il y a de la chanson et c’est très beau, préparé une année en avance, j’ai signé le contract une année en avance, on a discuté tout, ma fiche technique, mes musiciens.... Ici – non. Les affiches que tu vois, « 100% Kabyle », « La fête nonstop kabyle », « dance kabyle », tous ces... tous ces genres d’organisation, ils font ça – hommage à tel artiste, hommage à telle personnalité, hommage à.... Ils invitent quarante chanteurs; tous disent la même chose : « oui, c’est une grande figure »....Ils remplissent le Zenith avec trois mille, quatre, cinq, six mille Kabyles, ils vont les rassembler, chacun à payer 25 à 35 euros, tout cet argent va vers l’organisateur, les artistes vont travailler gratuitement, c’est comme ça.... Moi, je choisis, je préfère de choisir.... Qu’est-ce qu’ils vont te dire les organisateurs : « oui, c’est vrai que c’est gratuit pour cette fois-ci, mais ça te fait de la publicité »... Non.....  Moi, j’ai pas envie de faire de la publicité.... Si c’était mon gagne-pain, peut-être je l’aurais accepté, mais c’est pas mon gagne-pain...donc je peux m’offrir le luxe de choisir des spectacles qui vont dans ma manière de voir les choses de la culture...Je ne vends pas mes chansons comme des navets, comme de produits. »


Murad Zimu participe aussi aux soirées musicales privées qui se déroulent dans un cadre informel avec la participation d’amis. Ces productions sont ses préférées. En se qualifiant comme un chanteur « non-pratiquant », c’est-à-dire le musicien qui ne fait pas beaucoup de représentations, il est néanmoins reconnu sur la scène musicale kabyle contemporaine et chez les autres musiciens[20] célèbres comme Aït Menguellet, Si Moh et aussi Idir. Plusieurs entretiens avec lui ou de courts articles concernant ses activités musicales ou littéraires furent publiés dans des périodiques, en majorité sous forme éléctronique, sur les sites web kabyles. Toutes ses chansons dans les versions entières audio ou audiovisuel sont diffusées sur son site web officiel ou sur ses présentations sur les réseaux sociaux Facebook ou MySpace, où il a déjà plus de 2000 sympathisants.




Musicien, poète et patriote kabyle ?


« La chanson, c’est une expression pour moi dans ma langue...La chanson, c’est un petit peu moi, et moi, je suis Kabyle. Donc je chante dans ma langue et j’ai pas d’ambition de plaire à quelq’un d’autre. Même parmi les Kabyles... je suis pas prêt à faire n’importe quoi. »

Selon lui[21] mais aussi selon des ethnomusicologues[22], les musiciens kabyles ont toujours un rôle important dans la lutte pour la proclamation et la reconnaissance de l’identité berbère et des langues amazighes qui sont considérées comme les menaces de l’unité des nouveaux états postcoloniaux de l’Afrique du Nord. Tous les mouvements sollicitant l’affirmation de la langue tamazight comme une langue nationale et comme une langue d’enseignement ont été opprimés. Le folklore musical reste la seule forme d’expression relativement tolérée. Ensuite, un nombre des chanteurs et musiciens kabyles associent le cadre des activités musicales avec la lutte pour les droits de la langue et pour la reconnaissance de l’identité amazigh. La chanson en tamazight devient donc le moyen de critiquer le gouvernement et l’expression de revendications concernant les droits de l’homme ou la démocratie. Certains musiciens assez engagés ont été persécutés, emprisonnés[23] et aussi - comme Matoub Lounes, par exemple – assassinés. Les chaînes de la télévision ou de la radio d’État sont fermées à la plupart des chanteurs d’expression berbère et la musique régionale de Kabylie ne rentre pas dans le programme du collectage et de la préservation du patrimoine musical de l’Algérie dit « national ». En plus, les musiciens berbères ne participent pas aux représentations officielles algériennes à l’étranger.
Aujourd’hui, il n’y a pas de restrictions de publication de musique kabyle en Algérie. Toutes les chansons de Murad Zimu sont enrégistrées à l’ONDA[24]. Néanmoins, les chansons avec des allusions politiques ne passent pas à la radio officielle – c’est le cas de « Salupri », « Tafsut taberkant » et de quelques autres chansons. Les décisions ne sont pas prises par une censure centrale mais plutôt par les animateurs individuels responsables de programmation de la radio. Cependant, d’autres difficultés pour les créateurs kabyles sont toujours d’actualité :    

« Les obstacles existent à un autre niveau.... Par exemple : la programmation d’un spectacle, c’est là ou ça se situe, et le moyen.... C’est-à-dire, ce que font les services étatiques algériens, ils te disent : « Chantez dans votre langue, chantez comme vous voulez, dites tout ce que vous voulez dans la chanson, mais,.... no access ! Tu n’as pas d’accès aux spectacles, tu n’as pas d’accès à des clips télévision.... Regardes... Idir - il est là.... Depuis longtemps. Ils savent qu’ils peuvent le ramener par exemple faire une tournée en Algérie.... Mais il ne fait pas de tournée en Algérie.... Cheb Khaled, Cheb Mami[25] – ils font des tournées en Algérie... à Tizi-Ouzou même, en Kabylie même... Et c’est peut-être une question d’argent aussi, avant... Mais là, regarde – ils ont invité Cheb Khaled avec des musiciens qui viennent d’ici, ils ont tous payé.... C’est la Ministère de la Culture qui signe le chèque... tu vois ? Ils chantent en Kabylie.... devant dix mille personnes... Dans un stade.... Alors, on n’offre pas la même chose pour Idir... Pourquoi ? Parce que quand on invite – ils peuvent l’inviter – mais,... quand on l’invite, il y a toujours quelque chose, une connotation politique..... Par exemple j’ai vu certains spectacles où il y a un poster de président algérien derrière  la scène – tu chantes devant un poster... Moi, je ne peux pas le faire, par exemple.... Donc tu vois, les obstacles sont de cette manière.»

Donc, comment Murad Zimu se voit lui-même et ses activités musicales par rapport à la situation de la Kabylie contemporaine ? 
           
En comparaison avec la musique, les paroles sont incontestablement « kabyles » non seulement pour l’utilisation du tamazight mais aussi pour leur thématique qui est étroitement liée à la realité kabyle. Les thèmes de chansons sont divers, légers et aussi très sérieux, il chante de l’amour (« Tayri »), rend hommage à des personnes proches comme les parents (« Yemma » et « Baba », « La Mère » et « Le Père ») ou des amis (« L’ami », « Ameddakkel »), et consacre ses oeuvres à la commémoration d’événements tragiques de l’histoire kabyle contemporaine (« Aserdas », « Le Soldat » et « Tafsut taberkant », « Le Printemps Noir»). Dans la chanson « Taqccicin » (« Les Filles »), Zimu évoque différentes sortes des filles. En ayant la fin moralisante, Zimu demande à ses auditeurs – jeunes filles et garçons – d’être sincères dans les relations mutuelles et de bien considérer leur présentation personnelle à l’égard de la personne du sexe opposé. L’« Amexbut » («Le Maudit »), composé en 2001 avec Ameziane Kezzar, est une chanson plus sérieuse. Elle raconte l’histoire de la génération des Kabyles qui abandonnent en masse leur pays pendant les années 1990 et devinrent « sans-papiers » en arrivant en Europe. Malgré une vie souvent très misérable en France, les jeunes Kabyles préfèrent s’exiler volontairement, car la situation en Algérie déstabilisée est désespérante avec tout les menaces de terrorisme et les autres problèmes sérieux, pas exclusivement liés avec la question kabyle.
Néanmoins, il y a un fait qui pourrait paraître bizarre de nouveau aux auditeurs non-kabyles : certaines chansons de Zimu sont des adaptations de chansons françaises créées par des gens comme Renaud, Georges Brassens ou Georges Moustaki. En principe, il y a deux types d’adaptations faites par Zimu. D’une part, il s’inspire des thèmes exprimés dans les paroles en créant une musique complètement différente (« Ssiwan » adapté selon « Le parapluie » de Geogres Brassens, «Maεlic-tant pis » - « Ma chanson leur a pas plu » ), d’autre part, plusieurs chansons de Zimu utilisent aussi des mélodies ou des éléments d’arrangement musical selon leur « modèles ». C’est le cas de « Briru » (« Manu » de Renaud), « Aberrani » (« Le métèque » de Georges Moustaki) et « Tafsut taberkant [26]» (« Les charognards » de Renaud). Cependant, quand on les compare avec les chansons originelles, les adaptations sont pourtant des créations nouvelles de Zimu qui ne veut pas être un simple épigone.  
Dans le contexte kabyle, l’idée de l’adaptation est née chez Mohiya, un auteur et parolier qui a adapté des pièces théâtrales de Molière et de Jacques Prévert et les a diffusées sur les bandes sonores amatrices qui sont constamment dupliquées dans la Kabylie entière. Murad Zimu m’a raconté les origines de l’idée d’adaptation chez les Kabyles :

« Mohiya nous a appris à adapter, c’est-à-dire, quand on vient d’une culture orale, d’une langue orale, il nous faut vraiment.. il faut vraiment que notre langue fasse un petit pas pour survivre. Parce qu’il n’y a pas la télévision, pas la radio, donc il faut que cette langue survive avec les thèmes d’aujourd’hui. Si on reste dans la culture orale,.... toute la poésie qui est orale, très ancienne traditionnelle, elle n’est pas très attirante aujourd’hui pour la jeunesse.... Pour actualiser, il nous faut des nouveaux thèmes, des nouvelles idées; pour avoir ces nouvelles idées, l’adaptation était la solution, trouvée par...eh... certaines personnes, surtout comme Mohiya, qui a par exemple adapté « Le déserteur » de Boris Vian qui est chanté par Ferhat.... « Le déserteur » est une chanson universelle qui parle des gens qui refusent de se mobiliser dans l’armée et tout, et tu imagines que cette chanson, elle est arrivée à une langue parlée par deux trois milions de personnes... Une langue qui n’a pas passé à l’écrit, et tout ça grâce à Mohiya par exemple. »  

            Cette idée de l’adaptation tire donc sa source des efforts nourris par les motivations patriotiques. Les Kabyles veulent démentir la conviction que le tamazight, une langue appartenant à la culture de tradition orale, n’est pas capable d’exprimer les idées profondes et sophistiquées dans le cadre artistique ou philosophique[27]. Ensuite, le choix de chansons adaptatées réflète les sympathies personnelles de Zimu. Au début, il a voulu chanter ses chansons favorites de Renaud et Brassens dans une version kabyle pour lui-même et ses amis qu’ils l’encouragèrent dans ses premiers efforts artistiques : 

« C’est un choix personnelle. J’ai toujours aimé écouter Renaud depuis quatre-vingt cinq, je l’ai écouté quand j’ai préparé mon bac, comme il y a une radio en Algérie qui s’appelle Chaine 3. C’est une radio qui utilise... les langues étrangères, le français et tout, donc.... elle passait Renaud et je me rappelle que j’ai aimé très bien écouter ses chansons. Parce qu’on ne pouvait pas le trouvé sur un autre support, il n’était pas vendu en CDs, ni en cassettes, c’était pas encore piraté à l’époque... Mais c’est un choix. J’ai toujours aimé ses chansons et j’ai voulu les chanter en kabyle. »

« C’est généralement inspiré. Ce ne sont pas des traductions. C’est pour ça qu’on dit « adaptation ». Même si j’ai repris les musiques c’est des belles musiques d’ailleurs.... La traduction est très difficile. On parle de... c’est-à-dire, tu pars d’une langue, structurée et écrite depuis des centaines d’années, vers une langue orale comme la mienne, donc on essaie d’adapter..... « Charognards » de Renaud, elle raconte l’histoire d’un jeune qui vient de la banlieue, qui se fait abattre aux Champs-Elysées... Moi, non. J’ai pris la musique. La musique était vraiment très bien, je l’ai pris, mais je me suis inspiré de l’idée des « charognards », c’est-à-dire quelqu’un qui mange.... je l’ai adapté à ma situation à moi, ma société à moi. »     

Par contre, Zimu refuse d’adapter ou de « moderniser » les chansons anciennes et traditionelles kabyles[28]. En plus, il est contre les pratiques de la jeune génération de chanteurs kabyles qui

« ont exploité ces chansons traditionnelles pour faire des chansons de fêtes commerciales..... Dans la chanson kabyle aussi, il y a ce qu’il s’appelle « reprise ». Il prennent des chansons traditionnelles d’El Hasnaoui, ils sortent des albums « Hommage à El Hasnaoui », ils prennent toutes les chansons de Hasnaoui, ils les actualisent avec le chaâbi.... Moi je crois c’est une manière de ne pas faire de la composition. »

Zimu apprécie les chants anciens mais pour son propre travail il préfère les chansons qui posent les thèmes actuels. Sauf le refus de la « modernisation » d’anciennes chansons kabyles, il veut aussi se distinguer des chanteurs et genres arabes ou des genres musicaux qu’il considère comme « occidentalisés ». En étant le sympathisant de Renaud,  il a néanmoins choisi seulement certains aspects de sa production et refuse sa manière de présentation personnelle.      

« Je ne chante pas en arabe. Je ne pourrais pas faire par exemple des chansons de fête....C’est un style que je ne pourrais pas toucher.... Autre style.... le style de la chanson.... je n’aime pas la chanson typiquement occidentalisée, par exemple – du  rock cent pour cent, de la pop cent pour cent avec de la danse.... Mon style à moi, c’est beaucoup plus... comme je le vois, comme je souhaite de le faire d’ailleurs. Je les cite, je les adapte, mais je ne peux pas faire aussi une chanson comme cent pour cent Renaud. J’aime des textes de Renaud, j’aime ses chansons, mais le style artistique comme ça... Tu sais, Renaud, c’est quelqu’un qui se faisait des tatouages, se photographiait sur des motos, des blousons en cuir, tu vois, tout ces trucs je ne peux pas.. Mon style, c’est plus comme Brel, comme Brassens par exemple, qui vient en costume, avec sa guitare et qui fait des chansons que les gens écoutent. C’est beaucoup plus comme style à moi. »

Sauf le phénomène d’adaptation, il faut remarquer qu’un certain nombre de chansons existe aussi dans la forme de clips vidéo. Créés par Zimu lui-même ou par ses amis, ces clips présentés à YouTube, Dailymotion ou sur son Facebook sont de provenance non-professionnelle[29]. Leurs auteurs ont l’intention d’utiliser des images qui correspondent avec le contenu de la chanson en quelque sorte. Nous pouvons donc voir les images de diverses fleurs dans la chanson « Asennan ujeğig », les photographies des victimes et des inscriptions comme « Liberté » sur un mur accompagnent la chanson racontant la tragédie de « Tafsut taberkant », des bijoux berbères figurent dans la « Yemma » consacrée à la mère kabyle etc. En comparaison avec la pratique habituelle, Zimu ne sent pas la nécessité de se produire dans ses clips :    

« Pour moi, le clip, je le vois comme.... scénario. C’est-à-dire il faut vraiment que ça raconte l’histoire de la chanson. Ma présence donc dans le clip est suffisante avec la chanson, avec la voix et le texte que j’ai mis dessus... Donc je préfère avoir des acteurs dans la chanson, que le clip soit une oeuvre à part entière, que ce ne sera pas un clip comme support de diffusion de ma chanson. C’est une ouvre. Il faut qu’il soit une oeuvre. A part entière.»

Mais ce qui a une signification la plus importante, ce sont les sous-titres présents presque dans toutes les chansons qui figurent sur l’internet dans la forme des clips vidéo. Le travail artistique de Zimu devient donc aussi une « mission patriotique ». La compréhension de ce fait exige une petite explication : en maitrisant sa langue maternelle seulement sur le niveau oral, la majorité des Kabyles reste illettrée jusqu’à aujourd’hui. Murad Zimu considère ses clips vidéo aussi comme un moyen d’enseignement, de propagation et de diffusion de la langue tamazight dans une forme cultivée. Ses paroles, le niveau de leur thématique et aussi de la langue utilisée sont appréciés chez ses auditeurs qui ne se contentent pas de textes simples. En se concentrant exclusivement sur l’audience kabyle, Murad Zimu n’a pas l’ambition de devenir un chanteur populaire qui est reconnu chez tous les Kabyles et aussi sur la scène internationale même s’il compose ses chansons avec une motivation remarquable.
  Bien qu’il ne fasse pas beaucoup de scène, il met l’accent sur son travail artistique. La technique moderne, avec tout son équipement sonore, et avant tout l’internet, avec son espace illimité, fournissent le moyen principal de diffusion de ses chansons. La diffusion et la possibilité de propagation sont néanmoins les plus importantes pour lui. Murad Zimu ne désire pas se produire aux concerts et festivals fréquéntés par « tout  le monde » et ne préfère pas chanter dans une langue « internationale » comme le français ou l’anglais pour qu’il puisse attirer aussi des audiences non-kabyles. Il désire que les Kabyles écoutent sa musique et surtout les paroles attentivement et soient touchés par la langue qu’il utilise et par des thèmes qu’il pose :

« Je me méfie des gens qui racontent une chanson et ils te disent : «ah, c’est une très bonne chanson », « ah ce sont des gens comme toi pour la culture »...Tous ça, ce sont des discours, pour moi, qui sont vides.... Mais quelqu’un qui s’intéresse à la chanson, qui te donne un détail, ça c’est un commentaire que j’apprécie. »   


 En sachant que le concept de ses oeuvres poético-musicales limite peut-être le spectre des auditeurs, Murad Zimu reste le chanteur qui « ne se vend pas » et malgré tout, ses buts sont donc modestes et très grands en même temps : par ses chansons créées dans son style propre, il invite les Kabyles à cultiver et diffuser leur langue et à réfléchir sur leur destin.

 

ZSH avec Murad Zimu. Paris, janvier 2011.

 

Appendix :

 



LE PRINTEMPS NOIR
Traduction: Ameziane Aizaf

 






Le soleil avait allumé un incendie céleste
C’était l’été en plein printemps
Le ciel empestait les gaz lacrymogènes
Tout le monde toussait et pleurait
Nous allions affronter la mort
Notre sang était bouillonnant
La police chargeait avec son char
J’avais une pierre dans la main
Nous avions encerclé les gendarmes
Notre jeunesse ignorait la peur

Soudain ils se mirent à nous charger
Chacun frappait l’ennemi à sa portée
Nous entendîmes des rafales
Sans savoir la destination des balles.
J’étais avec un groupe de jeunes qui couraient
Lorsque je fus fauché tel un brin d’herbe.
Posant ma main sur ma poitrine
Je sentis mon sang couler à flot
Un éclair de vie dans mes yeux
Et ce fut mon dernier regard
Des gens me soulevèrent
J’entendis quelqu’un annoncer ma mort.
Lorsque la mort m’offrit son giron
Je revis le film des événements.
Depuis le giron de la mort
J’ai vu la suite des événements.
J’ai vu ma mère s’écrouler devant la porte
En apprenant la nouvelle
Et mon père pleurer publiquement
Pour la première fois de sa vie
J’ai vu mes frères pousser leurs cris de douleur,
Mes sœurs dépérir par refus de se nourrir,
Et tous mes copains devenus fous
Souhaiter me rejoindre dans l’au-delà.
J’ai vu mon nom inscrit
Sur les murs et dans les journaux.
Pour ma sépulture on a construit un tombeau
Que les passants visitent par tous les temps
Au village, quand nous étions vivants mais malheureux,
Personne ne parlait de nous
Maintenant que nous sommes sous terre et décomposés
On n’arrête pas de nous offrir des fleurs.
J’ai vu ceux qui m’ont stimulé
Continuer d’exciter d’autres jeunes
Et déclarer : il est mort en espérant
Que d’autres morts le suivent.
Alors que ma mère est pitoyable
Heureuses sont les mères des instigateurs,
Leurs enfants rentrent chez eux
Tous les jours à la tombée de la nuit.
J’ai vu Said et Hocine
Se battre sur ma tombe
On a même édité des chansons pour l’occasion
Oulahlou est devenu une star
Plus personne dans la cité des Genets
Tous sont occupés à la distribution de locaux
On vole même des pauvres vieilles
Tizi-ouzou est devenue un vrai bordel.
J’ai vu les Arouchs de malheur
Travailler pour les partis politiques
J’ai vu les Arouchs qui refusaient le dialogue
S’asseoir à la table des négociations
J’ai vu les Arachs des enfants
Qui rêvaient d’une embellie par les pierres
J’ai vu les archs criant « point de pardon »
Se dédier et pardonner.
J’ai vu les riches
Augmenter leurs capitaux.
J’ai vu nos gouvernants
Toujours vautrés dans leurs fauteuils.
J’ai vu qu’il reste encore des gens
Confiants dans mes meneurs trompeurs.
J’ai vu des vauriens
Devenir de respectables notables.
Je vous ai vu, vous mes compagnons,
A ce jour vous rêvez de printemps.
Vous êtes toujours convaincus
De pouvoir réformer le pays en émeutiers.
Quant à moi, qui ai subi la tragédie,
Je suis dans le giron de la mort
Et si c’était à refaire
Je ne sortirais pas de chez moi.
Maintenant que d’ici j’ai vu,
Tout vu mais hélas trop tard !
Qu’est-ce que ma mort a apporté de plus
A la plate-forme d’El ksar ?
Je me serais sacrifié pour Tamazight ?
Elle n’avait besoin que d’être écrite et parlée
Je serais mort pour faire cesser la tyrannie ?
Mon frère est son mentor.
Je serais mort pour l’Algérie ?
Il n’y a eu de morts que kabyles ! Pourquoi ?
Aujourd’hui le drame fait partie du passé
Vous êtes revenus au point de départ.
Le printemps noir
Ne servira plus qu’à être commémoré.
Ma mère n’est toujours pas consolée,
Elle me pleure toujours.
A ce jour mon père affligé
Refuse d’être dédommagé de ma mort.
Ma mère n’est toujours pas consolée
Elle me pleure toujours
Mon père est enfin consolé
Il a accepté le dédommagement..

***




LES CHAROGNARDS
Renaud

Il y a beaucoup de monde
Dans la rue Pierre Charon
Il est 2 heures du mat'
Le braquage a foiré

J'ai une balle dans le ventre
Une autre dans le poumon
J'ai vécu à Sarcelles
J'crève aux Champs Elysés

Je vois la France entière du fond de mes ténèbres
Les charognards sont là la mort ne vient pas seule
J'ai la connerie humaine comme oraison funèbre
Le regard des curieux comme unique linceul

[Refrain] :
"C'est bien fait pour ta gueule
Tu n'es qu'un p'tit salaud
On n'portera pas le deuil
C'est bien fait pour ta peau"

Le boulanger du coin a quitté ses fourneaux
Pour s'en venir cracher sur mon corps déjà froid
Il dit "J'suis pas raciste mais quand même les bicots
Chaque fois qu'y a un sale coups ben y faut qu'y z'en soient"

"Moi Monsieur j'vous signale que j'ai fait l'Indo-Chine"
Dit un ancien para à quelques arrivistes
Ces mecs c'est d'la racaille c'est pire que les vietmines
Faut les descendre d'abord et discuter ensuite

[Refrain]

Les zonards qui sont là vont s'faire lincher sûrement
Si y continuent à dire que les flics assassinent
Qu'on est un être humain même si on est truand
Et que ma mise à mort n'a rien de légitime

"Et s'ils prenaient ta mère comme otage ou ton frère"
Dit un père bérêt basque à un jeune blouson de cuir
"Et si c'était ton fils qu'était couché par terre
Le nez dans sa misère" répond le jeune pour finir

[Refrain]

Et Monsieur blanc cassis continue son délire
Convaincu que déjà mon âme est chez le diable
Que ma mort fût trop douce que je méritais pire
J'espère bien qu'en Enfer je r'trouverai ces minables

Je n'suis pas un héros j'ai eu c'que j'méritais
Je ne suis pas à plaindre j'ai presque de la chance
Quand je pense à mon pote qui lui n'est que blessé
Y va finir ses jours à l'ombre d'une potence

[Refrain]

Elle n'a pas 17 ans cette fille qui pleure
En pensant qu'à ses pieds il y a un homme mort
Qu'il soit flic ou truand elle s'en fout sa pudeur
Comme ses quelques larmes me réchauffent le corps

Il y a beaucoup de monde
Dans la rue Pierre Charon
Il est 2 heures du mat'
Mon sang coule au ruisseau

C'est le sang d'un voyou qui révait de millions
J'ai des millions d'étoiles au fond de mon caveau
J'ai des millions d'étoiles au fond de mon caveau

 

Références :

BOROWICE, Y., 2007 : « La chanson française, un art de métèques ? », Amnis. Histoire de
l’immigration, traces et mémoires, Numéro 7, p. 2-17.
ERLMANN, V., 1998 : « How Beautiful is Small ? Music, Globalization and the Aesthetics of the
Local », Yearbook for Traditional Music, vol. XXX, p. 12-21.
FRITH, S., 1996 : « Music and Identity » in Hall, S., Du Gay, P. (eds.) : Questions of Cultural Identity.
London, Sage Publications, p. 108-127.
GOODMAN, J. E., 1998 : « Saints, Singers, and the Construction of Postcolonial Subjectivities
in Algeria ». Ethos, Vol. 26, No. 2, p. 204-228.
GOODMAN, J. E., 2002 : « Music and the Development of Berber Identity » in Danielson, V.,
Marcus, S. Reynolds, D. (eds.) : The Garland Encyclopedia of World Music, Vol. VI The Middle
East, p. 273-277.  
GOODMAN, J. E., 2005 : Berber Culture on the World Stage. From Village to Video.
Bloomington and Indianapolis, Indiana University Press.
LACOSTE-DUJARDIN, C., 2006 : Un effet du « postcolonial » : le renouveau de la culture
kabyle. De la mise à profit de contradictions coloniales. Hérodote, no. 120, p. 96-117.
MAHFOUFI, M., 2002 : Chants kabyles de la guerre d'indépendence. Algérie 1954-1962. Paris, Éditions
Séguier.
MAHFOUFI, M., 2007 : Musiques du monde berbère. Paris, Ibis Press.
MAHFOUFI, M., 2009 : Cheikh El-Hasnaoui : Chanteur algérien moraliste et libertaire. Paris, Ibis Press.
SUZANNE, G., 2009 : Musiques d’Algérie, mondes de l’art et cosmopolitisme. Revue Européenne
des Migrations Internationales, Vol. 25, no. 2, p. 13-32.



[1] c’est-à-dire, tous les événements musicaux avec la participation de Murad Zimu
[2] prononcer « Mourad Zimou »
[3] mes parents passèrent un épisode de leur vie professionelle en Algérie pendant les années 1980. En étudiant l’ethnomusicologie,  j’ai une grande sympathie pour les musiques maghrébines.  
[4] c’était la chanson « Ameddakkel » (Maâlic Tant-pis. Belda Diffusion, Alger 2004), à présent publiée dans une version instrumentale modifiée ( http://www.mouradzimu.net )
[6] Satellit Café
[7] un club musical orienté vers les « musiques du monde » au centre-ville de Prague.
[8] en étant presque autodidacte inicié à la musique au lycée, Samir Sebbane appartient néanmoins à la poignée de musiciens kabyles qui vivent de la musique 
[9] sauf les paroles en tamazight, seulement le tambour berbère et le mode rythmique utilisés dans la pièce rappelent l’origine kabyle
[12] la complainte
[13] le club de football kabyle « Jeunesse Sportive de Kabylie »
[14] Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs
[15] www.kabyle.com , par exemple
[16] www.meganetproductions.fr - fondée en 1993 par l’Egyptien Magdy Mégaly, cette société de production musicale organise les grands spectacles « Tunisie 100 », « Maroc 100 » ou les grands concerts de « pop-stars » de Maghrib et  Machrek comme Warda, Amr Diab, Najat Aatabou, Cheb Khaled, chanteurs kabyles comme Takfarinas ou Lounis Aït-Menguellet etc.   
[17] Festival Youcef Oukaci, Festival de la chansons kabyle moderne, Poésiades de Béjaïa, etc.
[18] surtout les commémorations des personnages célèbres comme Cheikh El Hasnaoui, Slimane Azem, Youcef Abjaoui etc.
[19] En 2008, l’ethnomusicologue d’origine kabyle Mehenna Mahfoufi a participé à ce festival, selon Zimu le seul événement de cette sorte en France.
[20] Depuis ses années estudiantines, Zimu fait personellement connaissance avec la grande majorité des artistes kabyles de sa génération.
[21] « J’ai évolué dans un système éducatif qui a occulté les arts en général.... Mais les plus visibles ne sont que des chanteurs ! C’est le seul art toléré.... »
[22] Mahfoufi 2002 : 50-52; Goodman 2002 : 274-275
[23] comme Ferhat Imazighen Imula et les autres
[24] Office National des Droits d’Auteurs Algériens
[25] chanteurs arabes et majeurs représentants du raï algérien réconnus aussi en France et à l’Europe occidentale 
[26] voir les paroles de la chanson « modèle » - « Les charognards » - sa version kabyle « Tafsut taberkant » et sa traduction française ci-joints
[27] L’écrivain Ameziane Kezzar est donc l’auteur des traductions et adaptations des oeuvres de Prévert, Pavloff ou Queneau (Aγyul n Ğanğis. Editions Achab, Tizi-Ouzou 2010), mais aussi des traités philosophiques de Platon.
[28] comme Idir, par exemple.
[29] à l’exception de clip « Ce voleur qui... », cré en 2009 à l’hommage à journaliste Saïd Mekbel.